« Gaudete ! Réjouissez-vous ! » car Dieu vient visiter son peuple – son Église ! Certes, mais comment se réjouir pour l’Église lorsque l’actualité apporte régulièrement son lot de nouveaux scandales ? Comment assumer joyeusement l’histoire de l’Église, faite de sainteté mais aussi de péché ? N’est-ce pas d’ailleurs cette mémoire lourde à porter qui empêche bien des catholiques d’assumer leur identité de catholiques (cf. le sketch de Gad Elmaleh sur le sujet) ? On pourrait se simplifier la vie en ne retenant que la vie des saints et en oubliant les péchés de l’histoire. Mais est-ce vraiment là le type d’espérance que nous propose la Bible ? Quand Sophonie invite à la joie de l’espérance et prophétise « Éclate en ovations, Israël ! Réjouis-toi ! » (première lecture), cela vient dans une période où Israël était honteux et humilié : honteux de ses fautes accumulées génération après génération, et humilié par l’exil à Babylone – « Seigneur, Jérusalem et ton peuple sont objet d’insulte pour tous ceux qui nous environnent ». C’est dans ce contexte douloureux, reconnu et assumé comme une juste conséquence des fautes historiques, que Sophonie annonce la joyeuse espérance que le Seigneur va venir sauver son peuple. Les prophètes bibliques savent que Dieu est fidèle à son Alliance et qu’il n’attend qu’une chose : que son peuple s’abaisse humblement pour le relever. Qui s’abaisse sera élevé, mais qui s’élève sera abaissé. Il y a là un combat spirituel pour le peuple qui ne veut pas nécessairement se laisser faire. Le patriotisme habituel des païens repose sur la fierté envers les grands hommes de la nation. Israël au contraire doit apprendre à mettre sa fierté dans son Dieu fidèle qui le pardonne et le sauve inlassablement.

C’est aussi ce que rappelle le combat de Jacob avec Dieu (Gn 32). Ce combat est prophétique de ce que sera la relation historique du peuple avec son Dieu : résistance, lutte, heureux dénouement où Dieu délivre après avoir frappé, laissant une séquelle… Désormais Jacob boitera. Il ne pourra plus courir comme il le faisait pour s’enfuir loin de son frère Esaü ou de son beau-père Laban après les avoir trompés. Désormais il devra s’appuyer sur Dieu pour affronter ses problèmes. Il marchera plus lentement mais plus sûrement. Cette séquelle, à l’échelle du peuple d’Israël, c’est l’humilité acquise après beaucoup d’humiliations au cours des siècles. De même, l’humble mémoire de l’histoire de notre Église doit agir comme une séquelle de Jacob qui nous maintienne dans l’humilité et dans un équilibre tout ignatien des sentiments intérieurs : ni désespoir ni triomphalisme naïf. Dieu veut nous élever continuellement, mais pour cela nous devons nous maintenir dans l’humilité, tirer les leçons du passé, ne pas nous croire meilleurs ou plus solides que nos prédécesseurs, apprendre à marcher humblement comme Jacob-Israël.

Puissent les traumatismes accumulés dans notre mémoire collective de l’Église de France agir comme notre séquelle de Jacob. Qu’elle façonne une identité catholique où nous mettrons toute notre fierté non pas en nous mais en ce Dieu qui aime et renouvelle inlassablement son Église historique. « Les dons gratuits de Dieu et son appel sont sans repentance » dit saint Paul (Rm 11, 29). Puissions-nous ainsi marcher vers la lumière du Christ qui vient. Telle est notre espérance pour l’Église de France que le Seigneur nous invite à reconstruire, à l’image de Notre-Dame de Paris, à l’image de l’appel adressé par le Christ en 1205 à un certain François dans la petite chapelle en ruine de San Damiano.

Abbé Tanneguy VIELLARD

Feuille d’Informations Paroissiales