Quand le XIIème entrait dans la modernité : l’église Saint-Antoine-des-Quinze-Vingts a cent ans.
Le 28 décembre 1903, la bénédiction de l’église paroissiale, qui restera en construction jusqu’en 1909, concrétisait l’espoir de développement des faubourgs de l’Est parisien. Cette fête concluait en effet un long siècle d’attente pour les fidèles et elle inaugurait leur entrée de plein pied dans la modernité urbaine et parisienne. C’était une Belle Époque, laborieuse et dure aux plus faibles, mais c’était enfin un temps où échapper à la misère devenait possible. Grâce à ses petits artisans émergeant vers l’aisance, cette pauvre paroisse de faubourg avait réussi à financer la construction d’un beau bâtiment : si l’inondation de 1910 a fait tant de mal (la moitié du 12ème et un quart du 11e étaient sous les eaux) c’est qu’il y avait cette fois beaucoup à perdre. L’inondation eût été moins grave un siècle auparavant, quand le faubourg sortait économiquement exsangue de la Révolution. Les inondations ne balayaient depuis des siècles que des chantiers, des entrepôts et de pauvres baraques. Autant dire que les habitants surpris par la montée des eaux pouvaient faire rapidement leurs paquets.
C’est la Révolution qui a créé les paroisses actuelles, le 4 février 1791. L’immense paroisse de Sainte-Marguerite fut amputée des territoires dévolus à Saint-Antoine, avec l’abbatiale, et à Notre-Dame de Bercy, avec l’église des Pères de la Doctrine chrétienne. Mais la démolition de l’abbaye, après 1796, privait Saint-Antoine de son bâtiment, et les fidèles furent provisoirement hébergés avec les aveugles des Quinze-Vingts lors de la reprise officielle du culte, en 1802. Ces trois paroisses furent créées sur ce qui n’était encore qu’un glacis entre les enceintes de Philippe Auguste et des Fermiers généraux. Depuis un siècle, ce faubourg devenait pour les provinciaux fraîchement débarqués un foyer bon marché et un inépuisable réservoir d’emplois. La précarité, l’exploitation, l’insécurité, mais aussi la solidarité entre originaires des provinces, la confiance mutuelle entre artisans de métiers non contrôlés et la tolérance entre voisins (catholiques et protestants se côtoient sans s’étriper) ont créé un milieu politique fragile, un environnement propice à tous les soulèvements et à tous les radicalismes utopistes et désespérés, mais ouvert aussi à toutes les aventures de l’action sociale. En 1848, Frédéric Ozanam et ses amis conseillaient à l’archevêque de Paris rouergat, Mgr Affre, d’évangéliser ce quartier et celui-ci est mort, le 27 juin, d’avoir voulu éviter un bain de sang entre insurgés et soldats.
La paroisse Sainte-Marguerite accueillait en principe tous les paroissiens de son territoire depuis sa fondation, en 1625, sous la tutelle de celle de Saint-Paul ; mais en fait, privilèges d’Ancien Régime aidant, des parties entières du territoire échappaient au curé : les « hôpitaux » (qui accueillent et nourrissent avant de soigner) comme celui des enfants trouvés puis celui des Quinze-Vingts, la célèbre fondation de saint Louis, transportée dans la caserne désaffectée des mousquetaires noirs en 1780, sur ordre de Mgr de Rohan et dans des circonstances financières douteuses. Mais échappaient aussi à la paroisse les terrains, de plus en plus convoités par la spéculation, de l’abbaye Saint-Antoine-des-Champs. C’était le point fort de tout le quartier, qui avait à plusieurs reprises, de la guerre de Cent ans aux Guerres de Religion et à la Fronde, subi les effets dévastateurs de sièges mémorables. Chaque fois, il avait fallu reconstruire et sécuriser chemins et dépôts puis attirer les populations enfuies. C’est qu’entre la Seine, le grand chemin de Charenton et le chemin royal de Vincennes (le seul pavé avant le XVIIe siècle), l’activité était indispensable à la grande ville, dont la population avoisinait déjà 400 000 habitants au XIVème siècle.
En 1204 l’évêque de Paris, Eudes de Sully, décida la fondation de l’abbaye, sur un refuge de prostituées converties (entre autres) et l’incorpora à l’ordre de Cîteaux en 1206. Idéalement placé, le nouvel établissement de filles (rare encore au Moyen Age) devenait un haut lieu de la noblesse, très vite protégé par saint Louis et ses successeurs. L’abbatiale, consacrée en 1233, laissait résonner sous ses voûtes gothiques, considérées comme les plus belles de Paris, les voix du grégorien et des sermons, tantôt mondains et tantôt dévots. Si les paroissiens de l’abbaye, cantonnés à la chapelle Saint-Pierre, n’en entendaient que des bribes, ils ont été assez marqués par leur grandeur pour en conserver la mémoire dans le nom de la paroisse moderne, bien après les destructions.
Les hôpitaux et les écoles sont toujours là, les artisans et les émigrés aussi, même si leur présence s’estompe. La mémoire chrétienne est-elle encore vivante ? Il suffit d’ouvrir les yeux : les noms, les lieux& les hommes parfois, parlent encore chrétien. De la conviction de leur utilité au service des nouveaux problèmes d’existence de nos contemporains dépend notre histoire future.
Nicole Lemaitre
La paroisse a fêté le centenaire de son église
Ainsi vont le folklore et les traditions qui associent à Saint Roch son chien et à Saint Antoine un cochon ! Aisément, nos compatriotes confondent notre ermite d’Égypte (+356) avec LE Saint « de Padoue » (en réalité né à Lisbonne, invoqué lorsqu’on a perdu quelque chose) mais chacun connaît le célèbre cochon totalement ignoré au Moyen-Orient, où pourtant, on vénère avec ferveur Saint Antoine le Grand !
Si d’aventure vous avez visité Colmar, vous n’avez pas manqué d’y admirer le célèbre retable d’Issenheim, sur lequel Antoine figure en bonne place auprès des malades atteints du « mal des Ardents » auxquels l’S-uvre était destinée. A les soulager, les moines de l’Ordre hospitalier de Saint Antoine ont consacré leur vie durant cinq siècles, à travers l’Europe entière. A chaque « hôspitalerie » était attaché un élevage de porcs destiné à rendre des forces à des malades avant tout sous-alimentés ; d’où la présence de cet animal aux côtés du grand Saint dont la figure est, par ailleurs, bien peu connue en Occident, si ce n’est à Saint Antoine -l’Abbaye en Isère, berceau de l’Ordre antonin d’Europe.
Moderne, Saint Antoine l’est plus qu’on ne le croit, même si ces célèbres « Tentations » illustrées par Jérôme Bosch, tendraient à le repousser dans un univers fantastique quelque peu moyenâgeux. Relisons Saint Athanase :
« Le Seigneur n’oublia pas le combat d’Antoine, mais lui porta secours. Levant les yeux, Antoine vit le toit comme ouvert et un rayon de lumière descendre jusqu’à lui. Les démons avaient disparu, la maison était de nouveau intacte. Antoine interpella la vision : « Où étais-tu ? Pourquoi n’as tu pas paru dès le commencement pour faire cesser mes douleurs ? » Une voix se fit entendre : « J’étais là, Antoine, j’attendais pour te voir combattre. Puisque tu as tenu, tu n’as pas été vaincu, je serai toujours ton secours et je te rendrai célèbre partout ».
Chaque année, la fête de Saint Antoine patron de la paroisse, est l’occasion de rassembler la communauté d’une manière un peu exceptionnelle : c’est dans la nef, aménagée à cet effet par les équipes jeunes couples, que se tient le banquet de Saint Antoine autour du célèbre cochon, préparé spécialement par un boucher du marché d’Aligre tout proche.
Les festivités cette année ont été rehaussées par deux événements : l’inauguration de trois nouveaux vitraux d’abord, la bénédiction de l’orgue restauré ensuite.
Entièrement financés par les paroissiens qui ont accepté d’y souscrire, la conception de ces vitraux éclairés au dessus du chS-ur, est le fruit d’une concertation de près de deux ans. Réalisés par les Ateliers du Maitre-Verrier Duchemin, à Paris, ils sont destinés à soutenir, par le jeu des couleurs, la rosace qui les surplombe. Enfin, ils sont un petit signe de reconnaissance des paroissiens d’aujourd’hui à l’égard de leurs aînés qui ont construit l’église, et de leurs descendants qui continueront à la faire vivre !
Comme il ne faut jamais laisser passer l’occasion de faire la fête, la restauration complète de l’orgue Cavaillé-Coll que l’ église est fière de posséder, a donné lieu à deux magnifiques concerts auxquels ont pris part différents organistes européens de renom, parmi lesquels Emmanuel Pottier et Emmanuel Hocdé, respectivement organistes de l’Immaculée Conception et de Saint Éloi.
Un livre est paru, qui retrace l’histoire des orgues de Saint Antoine, et fourmille de détails inédits qui intéresseront autant le spécialiste des orgues que l’habitant du quartier ! (disponible à l’accueil de la paroisse : 15€).
Père Yves de MALLMANN.